J’ai pris ce livre à la bibliothèque, sur la foi de la quatrième de couverture. Automne 1935. Julian Bell, 27 ans, débarque à Wuhan pour donner des cours de littérature anglaise à l’Université de la ville. Ce n’est pas n’importe qui puisqu’il est le fils de Vanessa Bell, sœur de Virginia Woolf. Il a grandi entouré des membres du groupe de Bloomsbury et a fondé ses convictions, entre autre, à partir de ce qu’il a vu et qu’il a entendu dans son enfance, adolescence et âge adulte. Ainsi, il se vante d’être poète, analyste politique, hédoniste, libéral et révolutionnaire mais aussi d’avoir l’esprit ouvert face à d’autres. J’utilise le verbe vanter à dessein car ses convictions vont être mises à rude épreuve à Wuhan, surtout à cette période.
En arrivant à l’université, il fait la connaissance de la femme du doyen. C’est une intellectuelle, écrivain, proche du mouvement d’avant-garde Lune Nouvelle, comme son mari d’ailleurs. Elle n’est pour lui qu’une femme comme les autres mais rapidement ils se tournent sans que lui reconnaisse son attirance. Tout va changer à partir du moment où ils vont céder à leurs pulsions. La femme du doyen se dévoile beaucoup moins sage que prévu. Elle lui explique faire l’amour selon les principes taoïstes, enseignés par sa mère, et qui permettent de vivre une vie plus pleine et longue. Elle se propose de lui enseigner ses principes car elle se fane au contact de son mari qui ne supporte pas de telles pratiques (cela le rend littéralement malade). Elle a donc besoin d’un partenaire suffisamment vigoureux et , qu’elle voit en Julian. Lui qui se croyait aguerri, se trouve rapidement ramené au rang de débutant. De plus, il éprouve très rapidement des sentiments amoureux, qu’il n’assume pas car il n’en a jamais ressenti auparavant sauf peut être pour sa mère, avec une relation qui tient plus de l’amour platonique entre amants que celle d’une mère et d’un fils.
Voilà pour le résumé ! Je savais ce que je prenais à la bibliothèque, un livre à caractère érotique et clairement c’est un roman de belle facture sur ce sujet là en tout cas. L’auteur décrit assez pudiquement les relations sexuelles entre les deux protagonistes principaux du roman, tout en arrivant à nous faire ressentir l’attraction des corps.
Par contre, il m’a semblé que tout le reste sonnait faux. Pour une raison toute simple, l’auteur ne raconte l’histoire que du point de vue de l’occidental Julian. Aux pages 242 et 243 (pratiquement à la fin), Julian se rend compte de quelque chose que le lecteur a bien remarqué depuis les cinquante premières pages :
Julian prenait conscience qu’il n’était en fin de compte qu’un pur Anglais. La Chine, ses femmes, sa révolution et le reste demeureraient pour lui un éternel mystère. Il ne pouvait pas plus admettre sa frénésie amoureuse que la violence de sa révolution.
[…]
Il ne pouvait s’affranchir d’un certain racisme dont il avait simplement moins conscience que ses semblables. Son âme dissimulait dans ses profondeurs son mépris des Chinois, jusqu’à la femme la plus chère à son cœur. Sa décision de rupture, face à Lin et Cheng, n’était au fond qu’une arrogance d’Occidental.
Ne regarde pas en arrière, se mettait-il en garde. Lui qui se voyait en internationaliste n’avait succombé en Orient qu’à l’attrait de l’exotisme. Révolution ou aventures amoureuses, il ne pouvait trouver sa place qu’en Occident.
Julian, dès le départ, est un personnage qui n’est que caricature, n’ayant aucune complexité. Il est sûr de lui-même, de ses convictions mais aussi de ses charmes. Il n’a rien à apprendre des autres, surtout pas des Chinois. Il ne se montre pas ouvert, pas curieux (en tout cas Hong Ying ne le montre jamais). C’est un goujat (il y a un peu du « alors, chérie, cela t’a plu »), peu sensible à sa partenaire. Il juge tout sans comprendre, en particulier le mouvement Lune Nouvelle, que finalement il ne connaît pas parfaitement, et surtout il juge par rapport aux critères du groupe de Bloomsbury et non sur des critères qui seraient importants pour lui. Il ne s’intéresse pas à l’évolution de la situation politique de la Chine, qui vit pourtant une période mouvementée sous la pression des Communistes et des Japonaise. Il se prétend tout de même analyste politique ! Je crois que le pire est tout de même sa relation avec sa mère. Il lui dit tout mais vraiment absolument tout, deux fois par semaines par lettre. Il dit à plusieurs reprises que leur relation est assez inhabituelle (moi j’aurais dit malsaine).
Le roman devient rapidement ennuyeux puisqu’on a seulement le regard de cet horrible personnage pour vivre cette histoire. On ne découvre pas la Chine, l’histoire d’amour n’est pas crédible puisque Julian n’est pas capable d’éprouver ce genre de sentiment (trop centré sur lui-même pour cela). Reste le sexe mais malheureusement cela ne fait pas tout.
Comme je l’ai dit, je pense que le problème vient d’avoir choisi de raconter l’histoire uniquement du point de vue de Julian. Hong Ying précise son projet dans la postface :
En tant qu’auteur chinoise en Occident, ma plus grande difficulté est de résider en un lieu sans en saisir les réalités : réalité des hommes, réalité culturelle, réalité du pays. Au cours de mes insomnies surtout, dans le profond silence de la nuit, ce tracas peut se muer en véritable souffrance, Tout ce qui se passe ici, je ne le découvre qu’après coup, par la presse ou la télévision. Un million de personnes en liesse dans la rue, par quel mystère ai-je pu passer à côté ? Quand cinq millions de personnes assistaient à des courses hippiques, comment se fait-il que je n’en connaisse ni l’heure ni le lieu ? Non pas que je souhaite absolument y participer, mais je suis dans l’impossibilité d’en être informée. Et lorsque je demande où puiser les renseignements, on me répond par un grand rire – le simple fait de vivre ici suffit pour être tout naturellement au courant.
Tout est là : nul besoin de documents, de lectures, de relations, les choses se font spontanément, les gènes culturels sont donnés à la naissance. Confronté à ce même « mur transparent » qui m’entoure, qu’adviendrait-il d’un étranger vivant en Chine ? À quelle situation se trouverait-il réduit ? Sans doute lui non plus n’arriverait à rien.
En lisant cela, j’ai pensé que l’idée était bonne mais le résultat pas franchement. Et surtout je me suis posée les questions suivantes : est-que Julian Bell était vraiment ce type d’hommes ? est-ce que l’auteur décrit l’idée qu’elle se fait d’un occidental (et franchement cela fait peur) ou tout simplement n’a-t-elle pas réussi à rentrer dans le « mental » d’un homme occidental (et se soit du coup incapable de décrire une histoire de ce point de vue) ? J’ai pris un autre roman d’elle à la bibliothèque. Si je le lis, j’aurais la réponse à ma deuxième question mais j’aimerais bien que les spécialistes du groupe de Bloomsbury me disent si le personnage de Julian Bell s’approche de la réalité.
Références
Le livre des secrets de l’alcôve de HONG Ying – traduit du chinois par Véronique Jacquet-Woillez (éditions du Seuil, 2003)
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