Je ne sais plus trop comment j’ai entendu parler de ce roman, peut être en feuilletant les coups de coeur de la librairie La Procure, sur leur site internet. Je l’ai ensuite emprunté sur le site de la bibliothèque numérique de Paris.
Vous ne pouvez pas vous imaginer comment j’ai adoré ce livre ! Je n’en avais jamais entendu parler. Depuis, j’ai lu d’autres avis mais il n’était pas très bon (je ne le cache pas) et les commentaires disaient de plutôt lire Du domaine des murmures de Carole Martinez sur le même thème. Donc je demande votre avis : est-ce que cela parle vraiment de la même chose ?
On est en Angleterre, au XIIIième siècle. Sarah, à peine dix-sept ans, vient de se faire enfermer à vie dans un réclusoir, un endroit où elle ne verra plus le jour directement, où elle n’aura plus de contact visuel avec des hommes, où elle doit limiter son contact avec les femmes … et se consacrer entièrement à la prière. Elle est « morte pour le monde ». Lors de la réclusion, de manière générale, on procédait plus ou moins comme un enterrement (en tout cas, pour les prières).
Cela me semble juste horrible (en tout cas, pour moi). Je ne comprenais pas comment on pouvait choisir volontairement cette vie, surtout à dix-neuf ans. Commençons par décrire sa vie d’avant. Sarah est la fille aînée d’un riche marchand d’étoffes. Sa mère est décédée quand elle était plus jeune. Sarah et sa sœur, Emma, sont devenues très proches, tout en étant opposé de caractères. Sarah est aussi discrète qu’Emma était exubérante et pleine de vie. Elle voulait profiter de la vie, avoir des bébés, un mari … Elle a eu le mari et le bébé, mais elle est morte en couche, dans les bras de sa sœur impuissante. En fait, Sarah en devenant recluse, décide plutôt de fuir la vie que de se rapprocher de Dieu. Elle fuit aussi son fiancé, fils du seigneur du manoir de la paroisse, le père étant d’ailleurs son mécène et soutien financier. On se doute que ce dernier n’a pas fait ce geste que par pur piété mais aussi pour éloigner une prétendante indigne du rang de son chérubin (comme on se doute que celui-ci n’a pas forcément bien digéré tout cela).
Pourtant, Sarah montre une exaltation féroce à devenir la plus pieuse possible, en cherchant à respecter au plus près et surtout à la lettre sa règle. Pour cela, elle dispose des modèles des deux précédentes recluses : Agnès et Isabella. Agnès est morte dans sa cellule et est reconnue pour sa très grande piété. Isabella est partie au bout de cinq ans de réclusion (on ne connaît pas les raisons au début du livre). Agnès sera le modèle de Sarah au début du livre. Clairement, cela ne la rendra pas du tout heureuse (ni plus proche de Dieu) car elle cherche à se rapprocher d’un état qu’elle ne peut pas atteindre à son âge, avec son expérience, au tout début de sa réclusion. Au fur et à mesure de sa réclusion, Sarah va de mieux en mieux comprendre Isabella. Cela fait partie de l’évolution du personnage : elle devient plus tolérante, recherche moins la perfection, est plus à l’aise avec sa règle (va même jusqu’à l’interpréter).
En cela, elle est guidé par trois personnages je dirais : le père Ranaulf, qui est son confesseur, et ses deux servantes Louise et Anna.
Les chapitres alternent entre les voix de Ranaulf et Sarah, même si c’est elle qu’on entend le plus. C’est un personnage très intéressant. C’est donc un prêtre copiste, obsédé par ses livres et très peu intéressé par les affaires du monde, qui dans un monastère ressemble surtout à des affaires d’argent et d’expansion. Pourtant, quand l’ancien confesseur de Sarah devient trop âgé pour faire le chemin jusqu’au réclusoir, c’est lui qu’on désigne pour prendre la relève. Il a une très basse estime des femmes, surtout de leur capacité à comprendre les textes sacrés sans l’aide des hommes, de leur capacité à résister au péché et comme Sarah, a une idée très stricte de ce qu’est la piété. Lui aussi va évoluer au contact de la recluse vers un petit plus de tolérance dans tout cela.
Louise et Anna sont donc les servantes de Sarah qui lui ont été affectées. La première est aussi âgée que la seconde est jeune (du même âge que Sarah à peu près). Dans le livre, l’auteur nous explique que les servantes étaient plus ou moins condamnées à avoir la même vie que la recluse. J’ai trouvé que c’était particulièrement sévère de condamner une jeune fille à assumer le choix d’une autre. Pourtant, Anna ne s’en laissera pas compter pour autant, et vivra sa vie comme elle l’entend, même si cela lui fera du tort à cause de sa naïveté et de sa joie de vivre. C’est elle qui apporte une bouffée d’air frais et de tolérance à Sarah. C’est son influence, de manière intentionnée ou non, qui la fera évoluer vers ce qu’elle souhaite. Louise jouera plus le rôle de maman ou de conseillère, possédant un grand sens pratique tout en étant très pieuse.
À ces quatre personnages se greffent tout une galerie de personnages qui permettent de donner un certain rythme au récit : les femmes et petite fille qui viennent rendre visite à Sarah et lui racontent la vie du village, les malheurs comme les ragots (alors que c’est interdit par la règle), les hommes aussi qui se réunissent dans l’église à laquelle est accolé le réclusoir et que Sarah peut entendre, les seigneurs du manoirs, les moines aussi.
Je ne vais pas vous mentir : il n’y a pas beaucoup d’actions dans ce livre. Il ne faut pas vous imaginer un dénouement de folie. Le but de Robyn Cadwallader, et elle l’explique dans plusieurs entretiens, est de rendre le ressenti physique, psychologique, moral de la recluse lors de son enfermement. Il est donc logique qu’elle est fait le choix de décrire les premières années de réclusion car c’est là où les sensations sont les plus fortes.
J’ai trouvé le point de vue physique très intéressant. L’auteur n’insiste pas trop dessus mais arrive à faire passer l’affaiblissement progressif, du au manque d’exercices, à la nourriture mais aussi au manque de lumière. Il y aussi le manque d’hygiène, la forte d’odeur, qui ne devait pas être habituel pour une fille de marchand.
Ce qui m’a aussi particulièrement plu, c’est l’évolution du personnage de Sarah. Le roman est « long »; il fait quatre cent pages et cette évolution n’a rien de réellement romanesque. Elle se fait progressivement, par petites touches, par réflexions, par influence des autres … C’est le fait que l’auteur ait choisi un temps long pour asseoir son roman et le déroule à un rythme très lent qui donne cette impression. Personnellement, j’ai beaucoup aimé car cela m’a donné l’impression de vivre avec ce village (pas avec la recluse tout de même, car cela reste un état d’esprit particulier), pratiquement de lire une histoire vraie.
C’est un très beau livre. Je repose donc ma question de départ : est-ce que cela rassemble à Du domaine des murmures de Carole Martinez ?
Références
Une autre idée du silence de Robyn CADWALLADER – roman traduit de l’anglais (Australie) par Perrine Chambon et Arnaud Baignot (Denoël, 2015)
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