Quatrième de couverture
« Anna s’arrêta, eut envie de s’approcher de lui, puis changea d’avis et sortit dans la cour. La neige descendait imperceptiblement ; un début de printemps s’annonçait dans le ciel délicat, chatoyant et doré, qui perçait à travers les nuages. La cour, les bâtiments, les arbres étonnèrent Anna par leur aspect désert. Elle fit quelques pas. C’était comme si elle sortait pour la première fois après une grave maladie. Le monde était beau, infiniment lointain. Anna alla jusqu’au verger, leva les yeux. Dans le ciel, entre les nuages vaporeux, s’élançait, immobile, effrayant dans son incommensurable distance, le soleil, un soleil qui semblait appartenir à un autre monde. »
La révolution russe est en marche. On collectivise sauvagement les terres. Tout n’est plus que compromission ou désespoir. Pourtant, dans une des dernières fermes épargnées par les expropriations, la jeune et belle Anna, véritable héroïne tragique, tente encore de lutter contre un monde qui sombre dans la violence.
Extraordinairement rythmé, ce récit est un des plus brillants de Boris Zaïtsev, cet exact contemporain de Boris Pasternak et de Anna Akhmatova, longtemps oublié en France où il mourut en 1972.
Mon avis
Mon plan pour choisir des livres à la bibliothèque est très simple : soit j’ai regardé des titres avant (juste avant de venir, au travail en fait)(mes visites ne sont pas planifiés de longues dates ou quoi que ce soit) pour combler certaines envies de lecture soit j’ai regardé dans mon carnet Moleskine (vous savez le book journal … où les livres sont classés par ordre alphabétique), je choisis une lettre où je n’ai pratiquement pas lu d’auteur dont le nom commence par cette lettre, je me place devant l’étagère et je regarde les éditions que j’aime ou les auteurs ou les titres dont j’aime le son. Je prends au hasard. Je n’ai aucun scrupule à rendre le livre si il ne ma plaît plu tant que ça, que je l’ai ouvert juste un peu ou quoique ce soit. De toute manière, il sera encore là dans longtemps. C’est le principe d’une bibliothèque.
Tout cela pour dire que dans mon carnet commencé en février, il n’y a plus de place pour les M ni pour les G (ça ne m’empêche pas d’en lire, c’est juste que je les inscris ailleurs dans le carnet)(l’année dernière deux semaines après que j’ai commencé l’autre carnet, il n’y avait plus de place pour les W, il faut dire que j’étais en train de lire Oscar Wilde et Virginia Woolf)(les V pareil, Vila-Matas était passé par là) mais qu’il y a plein de place pour les Z (comme pour les Q d’ailleurs) et il y a tout de même 5 pages à remplir. Donc à la bibliothèque, je me suis placée devant les Z et j’ai pris sans lire la quatrième de couverture Anna de Boris Zaïtsev complètement au hasard parce que j’aime les éditions Autrement. Bien m’en a pris car j’ai découvert un chef d’œuvre.
L’action du livre se situe juste après les révolutions russes de 1917, en pleine collectivisation de tout. Anna travaille chez ses oncle et tante, deux lettons qui se sont expatriés en Russie pour élever des cochons. En fait, ce n’est pas vraiment ses oncle et tante mais elle les appelle comme cela ; c’est plutôt de la famille éloignée. Anna est jeune, belle et surtout libre. La situation de la Russie la préoccupe uniquement par le fait qu’elle rend plus difficile la vie d’Arcady, son amoureux, son fiancé, qui en a séduit plus d’une (il faut dire qu’il est beaucoup plus vieux qu’Anna). Arcady habite (squatte si on veut employer nos termes contemporains) chez les voisins d’à côté, des nobles à qui on est en train de tout prendre mais qui garde une certaine joie de vivre et un sens de la fête assez prononcé. Ils, Anna et Arcady, se retrouvent entre les deux maisons. Ils vont se marier dès lors que le divorce d’Arcady sera prononcé. C’est sans compter sur le fait que celui-ci a un passé dissolu dans l’alcool ce qui lui vaudra une maladie des reins. Anna se précipitera pour le soigner, quittant sa famille, où elle ne se sent plus vivre car détesté par sa tante, aimé par son oncle comme une femme et non comme une nièce. Cependant, il mourra. Elle devra retourner chez ses oncle et tante où l’Histoire, celle avec un grand H, la rattrapera (plus exactement elle courra à sa rencontre). Elle devra aussi subir la jalousie de sa tante.
Toute cette histoire se passe en 120 pages. Le livre ne manque donc pas de péripéties ou d’histoire mais ce qui frappe dans ce livre, et ce qui fait qu’on peut se souvenir de ce livre, c’est le personnage d’Anna car c’est un caractère passionné, entier, libre, qui n’a pas peur du qu’en dira-t-on. Le contexte aussi est intéressant et on se rend bien compte que Boris Zaïtsev est un écrivain de l’émigration car personne de l’intérieur n’aurait pu écrire autant de vérités sur la collectivisation aveugle dans les campagnes. Sur Amazon, j’ai lu un commentaire où l’auteur disait que ce qui était beau, c’était le climat ouaté qui se dégageait et ce amplifié par la neige. C’est exactement cela : on a l’impression d’une bulle au départ, d’être d’en la ouate puis à la mort d’Arcady, cette bulle éclate (après un délais de repli sur soi tout de même) au visage d’Anna (c’est l’extrait que les éditions Autrement ont mis sur la quatrième de couverture). La vie du pays lui revient en pleine figure ainsi que la méchanceté de son entourage. Cela en sera trop pour elle.
En conclusion, j’ai trouvé que c’était magnifique (je l’ai lu d’une traite car il était très court). Ce qui est intéressant, c’est que dans la postface, extrait de l’Histoire de la littérature russe chez Fayard, Georges Nivat nous explique qu’Anna n’est un texte mineur dans la production de Boris Zaïtsev.
Références
Anna de Boris ZAÏTSEV – traduit du russe par Ludmila Savitzky – postface de Georges Nivat (Autrement, 1999)
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