Un extrait de Spirale de David Wojnarowicz

Parce que parfois je n’ai pas envie de faire de billets sur tout un livre. Parce que parfois j’ai juste envie de vous faire connaître un mot qui m’a fait rire, un mot qui m’a touché.

Je parais familier mais je suis un parfait étranger que l’on confond avec ses moi antérieurs. Je suis un étranger et je me déplace. Je me déplace sur deux jambes et bientôt à quatre pattes. Je ne suis plus animal végétal ou minéral. Je ne suis plus constitué de circuits ou de disques. Je ne suis plus codé ou déchiffré. Je ne suis que vide et futilité. Je suis un étranger vide, la copie carbone de ma forme. Je ne peux plus trouver ce que je cherche en dehors de moi-même. Cela n’existe pas au-dehors. Ce n’est peut-être qu’ici, dans ma tête. Mais ma tête est de verre et mes yeux ont cessé d’être des caméras, la cassette est terminée et personne ne peut prononcer de parole qui me touche. Aucun geste ne peut me toucher. Tombé d’un autre monde j’ai atterri là-dedans et je n’arrive plus à parler votre langue. Voyez les signes que je tente de faire avec mes mains et mes doigts. Voyez les vagues mouvements de mes lèvres dans les draps. Je suis une tache blanche dans une civilisation effrénée. Je suis une traînée sombre dans l’atmosphère qui se dissipe sans prévenir. J’ai l’impression d’être une vitre, peut-être une vitre brisée. Je suis un homme de verre. Je suis un homme de verre qui disparaît dans la pluie. Posté parmi vous j’agite mes bras et mes mains invisibles. Je crie mes mots invisibles. Je deviens de plus en plus las. Je suis de plus en plus fatigué. Je vous fais des signes d’où je suis. Je rampe ici et là car je cherche la trouée vers le vide total et ultime. Dans mon isolement je vibre parmi vous. Je hurle mais les cris sortent comme des morceaux de glace pure. Je fais signe que le volume est trop fort. J’agite les bras. J’agite les mains. Je disparais. Je disparais mais pas assez vite.

Références

Spirale de David WOJNAROWICZ – traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurence Viallet (Éditions Laurence Viallet, 2011)


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