La conversion de Matthias Gnehm

LaConversionMathiasCnehmAprès ma lecture des Serviteurs Inutiles de Bernard Bonnelle, j’ai eu envie de relire une BD que j’avais emprunté à la bibliothèque de l’Institut Goethe et que j’avais déjà lu au début de l’été (cela tombe bien puisque je dois la rendre dans deux semaines). Celle-ci traite aussi de l’extrémisme religieux, mais d’une manière différente puisque déjà on est en 1984 et donc en temps de pseudo-paix (la guerre froide est en arrière plan tout de même) mais aussi parce que l’extrémisme religieux tourne à la dérive sectaire.

On est donc en Suisse, en 1984, dans ce que l’auteur décrit comme la ville (le village) suisse la plus moche en tout cas à l’époque. Ne connaissant pas particulièrement la Suisse, je ne saurais pas la situer mais apparemment il y a une grande tour en plein milieu.

Dans cette petite ville donc, on suit un groupe de jeunes, de 14-15 ans, et plus spécialement 3, deux garçons, une fille : Luki, Kurt et Patrizia. Luki et Kurt sont amis mais Luki et Patrizia vont au groupe biblique. Kurt se sent légèrement mis à l’écart, alors même qu’il est fou amoureux de Patrizia. Que ne ferait-on pas pour une fille à cet âge-là ? Lorsque Luki lui dit qu’ »il l’a fait » avec Patrizia, Kurt est donc forcément un peu jaloux (même si on se doute qu’il ne veut pas forcément dire ce qu’on entend). Mais le même jour, Luki propose à Kurt de l’accompagner au groupe biblique où est donc Patrizia et c’est le début de l’engrenage puisqu’elle l’encouragera toujours plus à fond dans la religion et lui sera de plus en plus accro à elle.

Patrizia est très enthousiaste vis à vis du groupe biblique, et de son pasteur, le pasteur Obrist. En effet, le groupe lui apporte une certaine stabilité qu’elle n’a pas dans sa vie familiale. Sa mère est en dépression et boit déraisonnablement. Elle est donc particulièrement influençable lorsque quelqu’un lui propose cette stabilité qu’elle recherche. Luki, lui, vient d’une famille stable et la religion représente plutôt une sorte de tradition « pépère ». Il croit ce qu’on lui a toujours répété. Les autres adolescents sont un peu dans la même veine. Pourtant, on les sent anxieux suite au contexte international, inquiet au sujet des problèmes environnementaux. Je me suis demandée si ils comprenaient vraiment le sens de leur parole :

Pasteur Obrist : Les non-convertis ne peuvent pas comprendre ce que nous ressentons. Ils ne peuvent imaginer ce que Dieu nous apporte chaque jour. Force. Assurance. Confiance. Si les membres de votre famille ne sont pas croyants ou ont des mauvaises croyances, alors ils essaieront de vous détourner de votre foi. Ou pire, Rahel, Mathieu, 10, 21.

Une adolescente (lisant le passage de la Bible, cité par le pasteur) : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant et les enfants s’élèveront contre leurs parents et les feront mettre à mort. Et vous serez haïs de tous, pour l’amour de moi. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre ».

Comment des adolescents peuvent relativiser le texte quand il est introduit dans son texte ! C’est un exemple pour montrer la manière dont la BD illustre la dérive sectaire de ce groupe biblique, dirigé par ce pasteur, qui ressemble plus à un gourou, qu’à un homme pieux.

Kurt est lui guidé par ses sentiments mais de plus en plus, il va commencer à croire. Il refuse d’entendre les avis divergents de ses voisins et de sa famille (il a très peu d’amis et ceux qu’il a font partie du groupe). Pourtant, il ne sera jamais lâché par ses parents, qui tiennent tous les deux des propos très intelligents sur la religion, même si parfois le dialogue est difficile :

Kurt : Tu veux m’enlever ma foi.

Sa mère : Je voudrais simplement que tu n’affirmes pas que ta croyance est la seule vérité.

Kurt : Oui et toi que crois-tu ?

Sa mère : Et bien … Je crois que je ne peux pas tout savoir.

Kurt : Alors tu crois aussi qu’il existe un Dieu qui en sait plus que toit, qui sait tout.

Sa mère : Peut-être que seuls les hommes peuvent savoir quelque chose.

Kurt : C’est trop profond pour moi.

Sa mère : Dieu a créé les hommes à son image, c’est comme ça que les hommes se l’expliquent, et c’est ainsi que cela a été gravé dans la Bible. Mais je trouve que l’inverse de cette histoire est tout aussi beau. Les hommes ont créé Dieu à leur image. C’est-à-dire qu’ils lui ont attribué toutes les facultés qu’ils avaient aussi eux-mêmes, et également la capacité de pouvoir savoir quelque chose.

Kurt : Mais c’est Dieu qui a créé le monde et les hommes, pas l’inverse.

Sa mère : Qui sait. L’homme peut créer quelque chose, il peut être créateur. Par conséquent, Dieu devrait également pouvoir l’être, simplement en bien mieux, et ainsi il aurait créé le monde dans son ensemble. Mais peut-on vraiment tirer cette conclusion? Ça pourrait tout aussi bien être que l’univers n’a jamais été créé , mais qu’il a toujours été là. Sans commencement, sans fin. Contraction, Big Bang, expansion, contraction, nouveau Big Bang, nouvelle expansion, et ainsi de suite, depuis la nuit des temps.

[…]

Kurt : « Pourrait être » … tu dis toujours ça « pourrait ». Mais moi, je veux être sûr, je ne peux pas passer ma vie dans l’incertitude, c’est à désespérer !

Sa mère : Je crois que les histoires naissent précisément de cette incertitude. Lorsqu’une histoire est racontée de manière crédible, on a alors le sentiment que ça aurait pu vraiment se dérouler ainsi. On peut croire en cette histoire. Et donc croire, ça peut être une très bonne chose et ça peut aider à dissiper cette incertitude. Au moins tant que l’on écoute l’histoire, qu’on la lit, qu’on est dans l’histoire. Mais les histoires ne sont et ne restent que des histoires. Les histoires sont des inventions humaines. Et quand un conteur affirme que son histoire est vraie, alors je commence à devenir critique. Et quand il m’explique encore que son histoire est la seule vérité possible, alors il perd toute crédibilité.

Kurt : Mais alors tout ce que tu me racontes là, n’est-ce pas aussi juste une histoire ?

Sa mère : Si.

Kurt : Pourquoi devrais-je alors te croire toi, plutôt que le pasteur Obrist ?

Sa mère : Parce que le pasteur Obrist, avec son histoire, va jusqu’à affirmer que je crois mal, que je pense mal, que je vis mal, si je ne crois pas en son histoire.

Kurt : Mais ton histoire l’affirme aussi, tu dis aussi que le pasteur Obrist se trompe !

Sa mère : Oui, mais je ne fais pas de prosélytisme avec mon histoire, mon histoire est de la simple autodéfense. Car les histoires t’ont conduit à te couper de ta famille. Et je ne peux pas te regarder t’éloigner de moi sans rien faire.

C’est un extrait un peu long, mais caractéristique de ce qui m’a plus dans cette BD. Kurt se détachera par la suite très violemment de la religion, suite à deux graves événements et en sera encore marqué 25 ans après.

Le dessin en noir et blanc, très sobre, permet de se concentrer sur le propos, tout en faisant vivre l’histoire.

Une BD passionnante et intelligente, à mettre entre toutes les mains !

Références

La Conversion de Matthias GNEHM – traduit de l’allemand par Charlotte Fritsch (Atrabile, 2011)


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